Le musée sans qualités

Je commencerai bien sûr par mes torchons, qui, comme je l’ai évoqué à l’oral, sont nombreux chez moi. Je les collectionne, j’en ramène souvent un ou deux de mes vacances, comme souvenir peu onéreux, dont je me sers dans mon quotidien.

Dans mon musée, je les installerai sur une étagère, pliés, les uns à côté des autres, pliés d’une manière qui m’est propre, mais qui est utilisée par plein de monde.

Sur l’étagère du dessus, je placerai mes verres à eau, verres de cuisine, souvent anciens pots à moutarde reproduisant des héros de dessins animés.

Sur la cime de l’armoire, je placerai des bouteilles, dont j’aime la forme peu courante ou à l’étiquette tape-à-l’oeil ou encore avec une gravure rétro ou à la capsule accrochée au goulot, comme celle de la limonade. Il y aurait bien sûr des bouteilles de vin et de champagne millésimés.

Cette armoire-étagère tiendrait tout un pan de mur et devrait être époussetée régulièrement.

Au sol, j’aurais collé des boîtes de sardines vides aux motifs amusants. Autre collection qui m’occupe pendant mes vacances. Et que nous mangeons en entrée, en hiver, quand le temps presse et que je n’ai pas le temps de cuisiner. Ces boîtes formeraient un parcours de boîtes métalliques et rectangulaires, sur lesquelles il faudrait poser les pieds avec délicatesse, pour ne pas les abimer.

De vieux jean’s élimés aux fesses et aux cuisses, que je n’aurais pas réussi à jeter, entasser dans un coin de la pièce, mal rangés, bouchonnés, dont les braguettes à boutons brasilleraient dans les clins de lumière, seraient en attente d’être transformés en sacs.

Des sachets en papier de cartes postales seraient entassés, à la verticale, entre deux pots de confiture de reine-claude. Au début, l’épaisseur de ces sachets seraient d’un ou deux centimètres puis au fil du temps, grossiraient jusqu’à former un mètre de longueur. J’imagine certainement quelque chose à écrire, à dessiner ou à coller sur ses pochettes et également quelque chose à insérer dedans, des bouts de nature et de culture : des pétales de fleurs, des tickets de cinéma, d’entrées de musées…

Dans des Tuperware de piètre qualité, que mon compagnon s’ingénie à laver après avoir mangé le contenu de plats préparés achetés en take-away, je glisserai des breloques, des bijoux de pacotille, dans lesquels je plongerai la main de temps en temps, pour m’orner et me parer.

Avec des bouts de vêtements que je ne porte plus et ceux de ma petite famille, je découperai des carrés, et d’autres formes, également, et je les accrocherai aux murs de la pièce avec des clous à restaurer les fauteuils et je m’interrogerai de temps à autres pour savoir qui se cache derrière.

Avec tous les vieux lacets à chaussures, je tresserai une corde très épaisse, que je laisserai choir au dehors par la fenêtre, pour pouvoir m’échapper de mon musée. Je l’aurais bien sûr arrimée de l’intérieur pour être sûr qu’elle ne cède pas.

Je fixerai mes anciens vélos au milieu de mon dallage de boîtes de sardines comme des trophées d’imagination, et les éventuels visiteurs pourraient grimper dessus et ressentir la griserie qui s’est parfois emparée de moi, quand je dévalais les pentes.

Je fabriquerai des statues de moi-même, avec ce qui traînerait chez moi, et je placerai devant leurs yeux, pour chaque mannequin, une paire de mes anciennes lunettes. Comme j’en porte depuis l’âge de 6 ans et que j’en change à peu près tous les 2 ans, il y aurait 22 mannequins, hommes et femmes, lunettés, d’abord nus, puis je les habillerai au fil du temps.

Suspendu au plafond, comme des stalactites bizarres et bigarrés, aux matériaux variés : du plastique, de l’acier, du cuir, de vieilles montres, qui ne marchent plus, rappelleraient l’heure à laquelle mon coeur s’est arrêté.

Avec tous mes manuscrits, que je garde dans des cartons dans mon grenier, sans l’once d’un désir d’ouvrir ces cartons -sauf si j’y suis contrainte- je ferai un grand faux feu, avec des lampes imitant l’incandescence des braises et je ferai semblant de commettre un autodafé, avec mes manuscrits, dans un coin de la pièce.

Voilà à quoi ressemblerait mon début de musée.

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