Texte du 19 octobre 2022

J’attends depuis longtemps dans la salle d’attente du médecin. Il y a encore peu de temps, la pièce était comble, pleine de crachotis et de raclements de gorges derrière les masques. Peu à peu, la salle s’est vidée et la chaleur étouffante dispensée par le chauffage au sol s’est un peu dissipée, emportée par les doudounes des autres patients. Il n’y a plus qu’une seule personne en quinconce dans la salle d’attente. Je la regarde de biais sans qu’elle me voie. Elle pianote sur son téléphone portable depuis tout le temps et ne lève pas la tête en émettant de temps en temps une toux caverneuse qui n’augure rien de bon. Quand je suis arrivée, il faisait encore jour et maintenant le ciel est devenu tout anthracite avec quelques dernières lueurs de gris clair à l’horizon. J’entends encore le roulis de la circulation au loin, mais son débit s’est ralenti et ce ne sont maintenant que quelques voitures éparses qui fracassent soudain d’un coup de patin le silence de la nuit. Je regarde ma montre régulièrement, comme si, par cet acte, l’heure pourrait avancer plus vite, il me semble que les aiguilles derrière le cadran, ont fait dix fois le tour depuis que je suis là. Je m’ennuie. Aucune pensée ne me retient. Je croise et décroise les jambes, me rassieds sur ma chaise dure qui me fait mal aux fesses depuis tout ce temps. J’ai feuilleté tous les magazines, Géo, la presse féminine, la Gazette de Drouot, j’ai lu tous mes mèls, même les spams. Je regarde maintenant le balai de deux mouches au plafond, la position de mon cou me procure un torticolis que j’essaie de soulager en massant ma nuque de ma main droite, cela me place dans une sorte d’hypnose pendant quelques instants. Je baille à m’en décrocher les mâchoires quand la porte s’ouvre. C’est à moi, je me lève.

 

Quand je sors du cabinet, je file directement au bar où je rejoins mon chéri. Dès que je pousse la porte balai, la musique m’électrise et une vague de chaleur m’englobe comme un long manteau. Il est là, accoudé au bar, à contempler le vide de son verre, quand je lui saute au cou. Il m’embrasse langoureusement, je commande un verre, je lui raconte déjà ma journée avec force détails puis tout s’accélère comme le rythme de la musique. Je me surprends moi-même d’avoir bu tant de verres en les comptant sur le comptoir quand le bar ferme. On règle. La nuit est plus que souveraine maintenant et s’est en titubant que l’on s’enfourne dans un Uber. Le temps a passé vite et nos corps éprouvent le poids de la journée.

 

Le lendemain matin, comme presque tous les matins, le réveil sonne à 7 heures 30. Je m’extirpe du lit les lombaires douloureuses. J’enfile ma robe de chambre de grand-mère et mes chaussons de reine. Je descends les escaliers dans la pénombre et comme chaque matin, je prépare le petit déjeuner en attendant que ma fille descende à son tour. J’entends son réveil sonner quelques minutes plus tard. Elle est maintenant à mes côtés à grignoter du bout des lèvres un Prince au chocolat tout en jouant au Playmobiles sous la table rectangulaire de la salle à manger, sur le tapis écru aux arabesques bleues. Comme si l’instant d’avant avait été la veille au soir et qu’elle n’est pas quitté ses jouets, comme si la nuit n’avait pas existé et qu’elle reprenait ses scénarios là où elles les avaient laissés. Comme chaque matin, je dois insister, me fâcher un peu pour qu’elle se lave les dents. Comme chaque matin, elle enfile son sac à dos par- dessus son blouson en jean’s et son sac à clarinette qu’elle place sur son torse. Comme chaque matin, je l’accompagne jusqu’au portillon du jardin en l’embrassant sur les cheveux ou sur le front, d’où je la vois partir joyeuse et de bonne humeur, en clopinant d’un pas chaloupé en direction de l’école, ainsi harnachée.